La Bête à sa mère by David Goudreault

La Bête à sa mère by David Goudreault

Auteur:David Goudreault [Goudreault, David]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-05-15T14:21:01.147000-03:00 JF
Éditeur: Stanké
Publié: 2014-12-31T23:00:00+00:00


Je tenais la première paye de ma vie, peut-être la dernière. Bouffi d’orgueil, j’étais ridicule. Déjà, le chèque n’était pas à mon véritable nom, mais, en plus, le montant de cette semaine de travail atteignait à peine ce que je pouvais tirer d’un ou deux cambriolages. Et je devais en remettre une partie à Reynald pour la voiture. Une somme qu’il m’a réclamée dans l’heure.

On peut arrêter à la caisse, c’est sur notre chemin. Il faisait affaire avec les caisses populaires, en plus, le vieux patriote. À une époque, elles avaient une sensibilité humaniste, mais c’était révolu depuis longtemps. Elles étaient maintenant aussi rapaces et corrompues que les autres banques. C’est documenté.

Non, je fais affaire avec les banques, moi.

On va arrêter à ta banque d’abord, même s’il faut faire un détour. Je suis plutôt serré ces semaines-ci, j’ai besoin du paiement aujourd’hui. Comme on s’était entendus. Il articulait distinctement, soulignant l’importance des mots. L’argent est toujours important. C’est le nerf de la guerre, de la paix, de l’amour, de la vie et j’en passe. Même pour les idéalistes. Surtout, peut-être.

Oui, oui, pas de trouble. Mais on va aller au Insta-chèques plutôt, j’ai des problèmes avec la banque depuis mon vol d’identité. Je n’envisageais aucune autre option pour encaisser cet argent. Sinon, il me faudrait endosser le chèque et trouver un pigeon.

Reynald a pris la direction du centre-ville en me racontant la stratégie de son parti politique pour faire sortir le vote des jeunes. Il était bipolaire, cet homme-là. Dès qu’il parlait de politique ou de voitures, il s’allumait, devenait volubile, mais pour tous les autres sujets de conversation, il se renfrognait et marmonnait. Je lui ai confirmé la justesse de son idée de mobiliser de jeunes militants du cégep. Je doute de l’existence de collégiens vraiment politisés, mais ça m’amusait de l’alimenter dans son délire. C’est l’avenir du monde, la jeunesse ! Je brandissais le poing pour appuyer le propos.

N’importe quoi. L’avenir, c’est l’heure qui vient, papi. À la vitesse où on pollue, la jeunesse a l’avenir qu’on va lui laisser. Et ton projet de pays n’y changera rien. On est à une autre échelle. Le monde est entre les mains des multinationales. Les gouvernements n’y peuvent rien, au contraire. Seuls les écoterroristes peuvent encore faire fleurir l’espoir. Mais ils se font rares.

À quoi tu penses, le jeune ?

Je pourrais assassiner un auteur à succès. Ce serait un moyen efficace de préserver une forêt ou deux. Mais non, je suis aussi égocentrique que tout le monde. Chacun pour sa gueule. Quand je tuerai, ce sera personnel. Je ne suis pas meilleur qu’un autre.

Tu veux pas le savoir.

Quoi ?

Ce que j’ai en tête, tu veux pas le savoir. Je défiais Reynald du regard.

Oui, oui, je te jure. Je suis un homme curieux. Dis-moi à quoi tu penses, le jeune.

On va prendre les armes, se réorganiser, kidnapper des gros noms et faire un pays, enfin ! On va le faire de force ! On se fera plus voler de votes, plus jamais de référendum trafiqué.



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